Dark Girls : beauté noire et colorisme

Le colorisme décrit, au sein d’un même groupe ethnique, un système hiérarchique basé sur la couleur de peau : peau claire = valorisée vs peau foncée = dévalorisée.

Ces discriminations se reflètent dans l’ensemble des rapports sociaux : relations amoureuses, emploi, rapports avec la justice…

Le documentaire Dark Girls (Bill Duke and D. Channsin Berry, 2011) donne l’occasion de revenir sur ce phénomène sous l’angle de l’attractivité des femmes noires. Ce reportage ainsi que les réactions associées me font tirer plusieurs conclusions.

Le poids de l’histoire

J’ai été notamment surprise en voyant certaines personnes, notamment Tika Sumpter, se qualifier de « dark skin » (peau sombre). Des personnes que je ne trouve ni spécialement claires, ni spécialement foncées (les peaux noires comportent une trentaine de carnations différentes).

Mais quitte à reproduire un système qui a (trop) longtemps été utilisé durant l’esclavage, la colonisation ou la ségrégation, autant reprendre également toutes les règles alors édictées pour définir ce qui est clair et ce qui est foncé.

Ainsi et à l’instar du « brown paper bag test » qui sévissait aux Etats-Unis jusque dans les années 50, toutes les personnes dont la peau est plus foncée qu’un sac en papier (les marrons) sont donc (encore) considérées comme ayant la peau sombre (ou foncée, peu importe) ?

Les métis sont les plus beaux

J’utilise énormément les réseaux sociaux et y constate que cette assertion est très présente dans la tranche d’age 15/25 ans. J’ai eu l’occasion d’avoir des discussions parfois ahurissantes avec des femmes blanches (et plus rarement des hommes noirs à la recherche de swag) qui projetaient sur leur future progéniture une image idéalisée du métissage à savoir des enfants noirs… juste ce qu’il faut :

– elle ressemblera à Noémie Lenoir (peau claire, yeux verts, cheveux bouclés)

– j’espère qu’elle n’aura pas les cheveux de son père

La communauté noire n’est cependant pas en reste en favorisant parfois l’éclaircissement (ou du moins le maintien de la carnation) voire le métissage (pour des raisons dépassant cependant la teinte de la de peau) au travers des enfants :

– tu es trop noir-e cela va gâter ma descendance (évoqué dans le documentaire).

Une discrimination supplémentaire envers les femmes noires

La peau foncée des hommes noirs est historiquement considérée comme sexuellement attractive (sans que les hommes noirs à peau claire ne soient pour autant dévalorisés) là où la peau sombre des femmes noires est considérées comme non acceptable.

De plus et d’une manière plus générale, les hommes sont moins enjoints à être beaux que les femmes.

Le poids de l’apparence physique pousse les femmes à être belles et désirables selon des critères de beauté très normés tels que la taille, le poids, la morphologie, la chevelure…

Les femmes noires doivent en plus de cela avoir la peau claire.

Le rôle des hommes

Dark Girls donne la parole à de nombreux hommes qui témoignent en tant qu’experts ou compagnons. Je retiens notamment la parole positive de l’un d’entre eux indiquant qu’il a la peau foncé et qu’il souhaite une femme qui lui ressemble. Afin d’avoir des enfants qui lui ressemblent.

L’un des experts évoque quant à lui quelque chose d’important : personne n’a appris à nos hommes que les femmes aux teints foncés pouvaient être belles.

C’est le rôle des parents et du système éducatif que d’apprendre aux enfants à avoir un esprit critique et ainsi à savoir prendre conscience des stéréotypes à déjouer.

D’ailleurs, comme pour rééquilibrer la donne, l’une des mères du reportage indique pousser ses fils à traiter leur sœur en princesse. Je n’approuve pas particulièrement cela (petite fille = princesse) mais j’approuve le fait qu’elle oeuvre afin que ses fils ne reproduisent pas le type de schéma dénoncé dans le documentaire.

Une nouvelle donne dans les médias ?

Certes les médias (dans leur ensemble) ne sont pas là pour nous éduquer et faire changer nos mentalités mais ils sont un indicateur intéressant.

En France et depuis quelques années, je constate une amélioration dans la représentation des beautés noires voire des noirs tout court. Alors que jusqu’à présent les quelques personnes noires présentées à l’écran avaient surtout une apparence se rapprochant des critères occidentaux (peau claire / cheveux lisses) et/ou étaient présentées en couples mixtes, mes derniers constats ont relevé la présence de couples noirs, de femmes aux cheveux naturels ou de teint plus ou moins foncés.

De la même manière, les acteurs et actrices noir-e-s ont de moins en moins des rôles secondaires voire de faire-valoir exotique et ont de plus en plus des premiers rôles (Alex Descas ou Sara Martins par exemple). Point de réjouissance cependant, il reste encore beaucoup de travail mais c’est encourageant.

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J’ai un avis très tranché sur l’injonction de beauté : je ne vois pas pourquoi on devrait être belles ou beaux. Et encore moins pourquoi les femmes devraient plus êtes jugées sur leur physique que les hommes.

Je ne considère pas la beauté comme une obligation et estime qu’il y a des choses bien plus importantes à mettre en avant. Je me garderai cependant de parler de l’utilité de la beauté car ce serait un sujet à part entière.
Néanmoins dans ce monde la représentation de la beauté a une place importante et les conséquences de ces discriminations sont désastreuses. En tant que femme noire je fais donc en sorte de valoriser ma communauté. Sans pour autant oublier de mettre d’autres choses en avant… enfin je l’espère.

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13 réflexions sur “Dark Girls : beauté noire et colorisme

  1. J’attendais avec impatience ton avis sur ce documentaire.
    Je ne l’ai toujours pas vu car avec mon anglais moyen, j’ai besoin de sous-titres.
    Ce documentaire met le doigt là où ça fait mal. Je n’ai jamais subi cette discrimination car j’ai la peau assez claire, mais j’ai des cousines qui se blanchissent.
    Pour infos, je suis partie au Togo en mai et là bas, il a énormément de femmes qui se blanchissent et de pubs pour ces produits.
    J’ai remarqué que même pour du riz, la fille sur le panneau publicitaire est de peau claire.

  2. C’est un très bon article Chacha, une bonne analyse et tout comme toi nous sommes scandalisées que ce type de système de pensée, ne se soit éteint avec la fin de l’esclavage et ségrégation.
    Il est encore plus dramatique, pour la communauté noire, de continuer à entretenir cette hiérarchisation inappropriée et irréfléchie, de système de valeurs!
    Mais sans doute, est-ce une évolution qui prendra du temps, dans les mentalités, après des siècles d’asservissements et de non considération du noir, en la qualité d’être pensant.
    Quoi qu’il en soit, nous sommes aussi d’accord sur ton point de vue, la beauté d’une personne est d’abord liée à la générosité de de son être, à sa personnalité et il arrive que la beauté physique, soit le pire des poisons, donné à une personne, lorsque c’est la seule « qualité » qu’elle possède. Au final, qu’est-ce que la beauté? Existe t-il un seul canon de beauté? Nous avons écrit un article dessus, d’après nos recherches, hélas cette représentation de la beauté « peau claire=valorisée vs peau foncée=dévalorisée » est présente dans d’autres cultures telles que l’Inde où même depuis l’occidentalisation massive des cultures, dans certains pays d’Asie, c’est donc un lourd héritage occidental. C’est certainement lié au fait, que ce critère de clarté fut un critère dominant déjà au XVIII siècle en Occident (nous avons fait nos recherches, à partir de cette période en France) et déjà, à cette époque les femmes françaises utilisaient des produits toxiques afin de s’éclaircir la peau. Mais pour en revenir à l’africain, ou même, à d’autres peuples de pays anciennement colonisés, à notre sens, le problème du noir, est qu’il souffre encore d’un complexe d’infériorité dont il il est difficile de se sortir pour certains, il semble mal connaître son histoire, ses figures, ses modèles, et il n’est pas fier de ses origines et sa culture, ou du moins, il l’est sans réellement l’être, ni même prendre la mesure de ce terme et souvent affiche une fierté superficielle et le fait savoir de façon ostentatoire et inintelligente.
    Pour extrapoler et expliciter ce point, nous dirons que lorsque l’on est fier, on ne peut accepter que le noir ou tout autre étranger de France soit présenté comme un un sous-citoyen, celui qui trouble l’ordre publique, qui n’occupe qu’un certains types d’emplois.
    Or, certains jeunes issus de l’immigration, de par leurs attitudes, alimentent ce genre d’idées, dans l’esprit des français de « souches » et servent les idées de certains politiques peu scrupuleux, qui disent aimer leur pays.
    Bon, pour faire court, parce qu’il ne s’agit pas non plus de faire un roman, n’est ce pas? Oui nous dirons qu’il y a une nette amélioration mais, le travail sera long et fastidieux!
    Et les temps actuels, ne sont pas en faveur de tout humaniste, rêvant d’un avenir meilleur! En effet, en temps de crise, lorsque les gens sont au plus mal, et que l’avenir semble incertain, l’histoire a prouvé que cela favorise, la montée de ce que nous appelons le nationalisme irréfléchi et très vite on cherche un bouc émissaire, souvent en la personne de celui qui est issu de l’immigration (quand bien même, il fasse partie intégrante de la nation). Et il est clair, qu’il y a dans ce pays, une fracture entre les immigrés de France, leur descendance et les français « de France » (tous ne partageant pas cet avis, fort heureusement),certains discours extrémistes et la couverture excessive des médias de ces faits, n’arrangeant rien. Pour conclure, (oui, ouf, penses-tu 🙂 ) Nous sommes fiers de nos origines et en même temps, nous aimons ce pays de France, qui bien qu’imparfait, nous a tout de même accueilli et nous espérons avant tout une réconciliation du noir avec lui même et ensuite de la France avec tous les français. Désolées, pour ce extra long commentaire 😉

    • oui les choses changent mais hélas cela n’ira jamais assez vite. la dévalorisation des teints foncés n’est pas forcément un héritage de l’occident mais l’esclavage, la colonisation ou la ségrégation n’a rien du arranger…

      merci pour ce commentaire fleuve que je rejoins sur plusieurs points 😉

      • Malheureusement pas assez vite, comme tu dis! De rien ton article, nous a vraiment parlé! 🙂 La dévalorisation des teints est un lourd héritage de l’esclavage avant tout, c’est sûr, qui a néanmoins pris racine dans d’autres pays non colonisés, avec l’occidentalisation massive des cultures et a dépassé ce caractère esclavagiste-ségrégationniste, c’est ce qu’on voulait sous entendre. En tout cas, bon article 😉 Bon dimanche Xo

  3. Le test des poupées est à pleurer de chagrin. Voilà comment on sape la confiance en soi des personnes, en s’attaquant à leur image dès l’enfance. L’intériorisation suit. C’est terrifiant. Merci pour cet article.

  4. Pingback: Dark Girls : comprendre le colorisme pour mieux le combattre | Proud People !

  5. Pingback: Comprendre le colorisme avec le documentaire Dark Girls

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